Trop polis pour être
honnêtes ?
En
toutes circonstances, même celles qui feraient exploser le premier moine
Bouddhiste, l’Américain reste imperturbable.
J’arrive
de Paris à l’aéroport de Washington Dulles. Plusieurs avions ont atterri au
même moment et les passagers se déversent par centaines, bientôt bloqués au
comptoir de la douane où officie UN agent. La queue est immense et calme. Pas la moindre voix ne s’élève dans le
brouhaha normal. Enfin, si, la mienne
qui pousse des exclamations scandalisées : « non c’est pas
pooossible ! », mes yeux cherchant en vain un regard complice dans la
foule. Mais ils ne rencontrent que des pupilles américaines indifférentes.
Est-ce la fatigue du jet lag ? Non ce n'est pas cela, les Américains savent attendrE. C’est vrai aussi que si
on se manifestait un peu trop, un professionnel de la sécurité aurait vite fait de nous rappeler qu’ici on ne la ramène pas. Le pays ne manque pas de personnel
spécialisé dans le maintien de l’ordre. Tout nouvel arrivant sur le sol américain subit le
test du stress orchestré par un douanier bien entraîné à te considérer d’emblée comme un
terroriste potentiel. Surtout si tu es un jeune Marseillais qui vient visiter sa tante, un fromage non pasteurisé
emballé dans la valise.
Mais
revenons à la culture de la file d’attente. Partout ici, en toutes occasions,
les files s’allongent sur les trottoirs.
A
l’arrêt de bus, le second candidat-voyageur se place derrière le premier et
ainsi de suite jusqu’à former de longues files indiennes bien rectilignes. JAMAIS personne n’aurait l’idée de casser la
file, ce serait un sacrilège. J'en tremble juste à imaginer les réactions que cela
produirait.
La
patience d’ange de la population américaine proviendrait, paraît-il, de sa
culture religieuse : chacun a ce qu’il mérite car Dieu en a décidé ainsi.
Si tu n’es pas content de ton sort, il ne faut t’en prendre qu’à toi même. Donc
ne râle pas. Inimaginable pour mes
compatriotes.
On
est si poli que les professeurs ne donnent pas de mauvaises appréciations à
l’école. Mais les expressions utilisées dans les carnets de notes sont décodables par les initiés du
métier pour repérer la réelle valeur de l’élève. Un language positif codé en somme.
A
mon cours de peinture, Lisa la prof circule entre nos chevalets tandis que
nous nous appliquons sur nos toiles. Elle se campe devant nos œuvres et des
cris d’admiration, à mon avis imméritée, jaillissent de son gosier, des gémissements quasi orgasmiques. On est
tous « awesome » et notre œuvre « is absolutely amazing ». C'est sûr que cela produit un effet encourageant, mais que vaut ma peinture finalement ? Je ne suis pas habituée à cela, habituée que j'ai été aux carnets de notes "peut mieux faire".
Partout
on m’accueille par un: « how do you do ? », la caissière, le chauffeur, la réceptionniste. Je réponds toujours que je vais bien, mais
est-ce que ma santé les préoccupe vraiment ?
Si
quelqu’un m’effleure au supermarché, j’ai droit à un immédiat et confus « oh I am so sorry ».
C’est vrai que le harcèlement sexuel est pris très au sérieux et je pourrais me
plaindre auprès de la maréchaussée de tout attouchement indésiré. Le so sorry
est en tout cas un moyen bien pratique de se défausser.
Cette
politesse me laisse perplexe. Au restaurant, pendant que je mange, je dois
rassurer le serveur quand il me demande à trois reprises si je suis contente mais il me balance l'addition avant que j'ai fini de manger.
J’appelle
la compagnie de télédistribution parce que je ne reçois plus Internet. Quand
je me connecte enfin, après avoir
pianoté quinze minutes sur le clavier du téléphone, l’opérateur m’accueille aimablement,
« hi I Am Dirk, Can I help You ? ». Puis il enchaîne par la
lecture à toute allure de son manuel technique, sans m’écouter exposer mon
problème. A la fin il raccroche, non sans m’avoir félicité « aimablement "pour « ma patience ", m’abandonnant dans un état apoplectique… Stratégie commerciale qui porte ses fruits puisqu'il il ne me reste plus qu’à étudier
moi-même le fameux manuel technique. L’opératrice de la Banque me fait le même
coup. Après le rituel du pianotage optionnel, après que je lui ai exposé mon
problème, que j’ai répondu à toutes ses questions, fourni toutes mes données, elle finit par me dire que
je ne suis pas au bon service, que cela a été très agréable de me parler, qu’elle
me remercie beaucoup etc. Faisant semblant de ne pas remarquer ma
frustration, elle pourra, à la rigueur, m’asséner quelques So sorry…
Ici
la râlerie n’existe simplement pas. Il est conseillé d’avaler, de respirer un
grand coup, d’aller faire le tour du pâté de maison en courant, de prendre une
douche etc, quand un « sentiment négatif » nous traverse.
Cela
explique-t-il que, de temps en temps, il y
en a qui sortent de chez eux et tirent sur tout le monde dans un supermarché ?
La légitime défense, ça va loin ici.
Bien vu, comme toujours. Pour l'art de faire la queue, je pense que c'est dans les genes anglo-saxons. Qd je vivais a Oxford, en Angleterre, les queues pour attendre les bus m'avaient deja impressionnee!
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