Sunday, July 21, 2013

Manger, vite, dit-elle encore




J’ai tout pour être heureuse. Ma cuisine est revêtue de marbre blanc,  mon évier est équipé d’un broyeur, ma cuisinière à gaz a 6 feux.  Mon frigo, qui pourrait contenir une vache, est en alu étincellant. Je peux m’y mirer quand je danse en passant l’aspirateur. J’adore mon aspi orange années 50 et sans fil. Le meuble cave-à vin est rempli de Sonoma,  Nappa Valley et de Pinot Noir de Francis Ford Coppola, le même qui a fait Apocalypse Now et le Parrain. Mes amis m’assurent que ma cuisine incarne le rêve de tout couple américain et pourrait figurer dans un magazine de déco, tout en restant impraticable. Au moins deux heures de nettoyage aux produits toxiques après chaque repas,  la fonte des brûleurs pèse une tonne et, en plus, le marbre blanc ça marque les tâches.
Ma cuisine est neuve. Je pense qu'avant moi elle n'avait été traitée que comme une pièce décorative.  A quoi bon se décarcasser, faire les courses, cuisiner, nettoyer, alors que je peux acheter du tout-fait partout ?  Alors que je pourrais consacrer mon temps précieux à la course à pied-queue-de-cheval suivie d’un bon coup de vernis à ongle?

Dois-je balancer au Potomac mes scrupules de Française- nourrisseuse-de-famille, lâcher mes casserole et enfiler mes baskets pour suivre l’exemple des habitants de mon quartier ? N’est-ce pas cela s’intégrer dans une nouvelles culture ?

On mange beaucoup au restaurant à Dupont Circle. On peut aussi le faire parce qu’on est libres, qu’on n’a pas d’enfants et parce que ce n’est pas plus cher qu’à la maison.
Mais, après avoir mené enquête, je m’aperçois qu’ils ne sont pas si bon marché que ça les restos.
A priori on pense que c’est correct un plat affiché 25 dollars. Mais, c’est comme les billets de Ryanair, il y a des suppléments. Une fois ajoutés les taxes et le pourboire, on s’en sort à 35 dollars le steak (gros) frites (beaucoup). Pour le vin au verre, on doit choisir entre Cabernet, Pinot noir, Chardonnay affichés dans la « wine list » entre 9 et 12 dollars pour un gros ballon de rouge assez acide.
Passons au rituel.
J’arrive au resto. Si c’est le week end il y a la queue. Il faut être patient, j’apprends. Les premiers dineurs sont arrivés à 5h30 du soir, souvent pour bénéficier du tarif Happy Hour.  Quand arrive mon tour, pas question de choisir ma table. L’hôtesse d’accueil me désigne ma place et me remet les deux menus, boissons et plats. A peine assise, le buzzboy vêtu de noir, en général il vient d’Amérique Centrale, me sert un grand verre d’eau plein de cubes de glace. L’eau et les glaçons sont gratuits, pas comme en Belgique. Ensuite un serveur/se vient prendre la commande de boisson alcoolisée parce qu’il faut absorber le plus vite possible de l'alcool cher.
Ensuite je consulte le menu.  La diversité des plats proposés est communément la suivante :
-salade César (salade coupé industrielle, croutons industriels, parmesan, sauce blanche industrielle) ou salade au poulet-aux-hormones très charnu;
- hamburger-frites ou steak frites avec rondelle de tomate sur le côté;
- crabe-cake sandwich-frites (ce que je choisis toujours) avec rondelle de tomate sur le côté;
- tarte aux pommes-glace vanille
Le week end les restaurants servent un menu brunch toute la journée : œufs, bacon, frites, pancakes épais comme des éponges qui absorbent des torrents de sirop d’érable, containers de café, mimosa qui est du (faux) champagne additionné de jus d’orange servi en quantité illimitée. Un cauchemar diététique à vous trouer l’estomac déjà fragilisé par le happy hours du samedi soir.

Les plats sont servis très rapidement. Je mange à toute allure et sans parler car j’ai faim et de toute façon mon compagnon ne m’entendrait pas si je lui adressais la parole sur un mode normal. Le serveur  m’interrompt deux fois au moins  pour me demander si  je suis contente.  Oui merci je  réponds que je suis contente.
Alors que je mâche ma dernière bouchée, il surgit à nouveau et place l’addition ouverte, insérée dans un porte-carte, verticale entre nos deux assiettes, l’addition qui vous la coupe. Son geste s’accompagne d’un « take your time » qui veut dire « tire toi le plus rapidement possible car j’ai besoin de ta table et de mes pourboires pour vivre ».  Les serveurs sont payés 2,50 dollars de l’heure. A ce tarif les restaurants peuvent employer beaucoup de personnel ce qui permet d'accélérer le rythme du service. Le pourboire est incontournable. Même si le serveur fait semblant de  chercher à le mériter, sa mission principale est de te faire manger et boire le plus vite possible. J’ai connu des cas où des clients se sont fait poursuivre sur le trottoir et menacés d’appeler la police faute d’avoir payé un pourboire  suffisant car  ils s’estimaient mal servis.
Je règle l’addition en remettant ma carte de crédit au serveur qui l’emporte et la rapporte pour que je signe une fiche à laquelle j’ajoute un pourboire, d’un montant de 15 à 20%. 
En conclusion, les termes pourboire et service ne veulent rien dire, le client  paye sans récriminer, content ou pas, le reste n’est que mise en scène. Si j’ai bu une bouteille à 50 dollars, un prix moyen pour un vin correct et deux repas à 50 dollars, cela fait $150+$15taxes+$25 tip=190 dollars. Pas donné. Le dîner a été plié en une heure.

Au suivant !

1 comment:

  1. Et les musees dans tout cela ? Amities de Jakarta, Emmanuelle

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