Sunday, July 21, 2013

American Târtouf




J’ai assisté à une représentation de Tartuffe de Molière. Les acteurs prononçaient «Târtouf ».  La pièce se déroulait dans le joli jardin d’une maison géorgienne de Georgetown, le quartier traditionnel huppé de D.C. Le casting de la troupe amateur faisait rêver.  Orgon travaillait  au Département de la Défense, Valère était conseiller à la Maison Blanche, Elmire journaliste chez Bloomberg, Orgon, avocat d’affaires, Dorine professeur d’Université, Tartuffe à la tête de trois restaurants aux noms bien français « Napoléon, Bonaparte, Malmaison ». A quand l'ouverture du glacier Berezina-Sainte-Hélène ?
Le thème de Tartuffe m’a paru très en phase avec le milieu ambiant. Dans sa pièce Molière dénonce l’hypocrisie, les faux-bons sentiments et la bondieuserie. Le comportement de Tartuffe masque basses manœuvres et  turpitudes pour s’approprier les biens d’Orgon et séduire sa femme.  Les politiciens américains font de la târtoufferie sans le savoir quand ils en appellent à la  morale, aux valeurs et à la religion à la rescousse pour justifier certaines politiques. Ils interdisent l’alcool aux moins de 21 ans mais  dés les derniers examens passés, les jeunes sont lâchés  dans des summer breaks très arrosés. La pratique du Happy Hour dés 16h  dans les bars encourage à démarrer tôt la picolade, surtout des jeunes. Boire après le travail entre collègues cols blancs est bien vu ici, cela fait partie du statut et du networking.
Tous les présidents américains disent qu’ils croient en Dieu, et même Obama « lui parle tous les jours ». Est-ce que c’est Dieu qui lui a dit de mettre la planète sur écoute ? Les Républicains sont passés maîtres de la Tartufferie, qu’il s’agisse de nier la réalité du changement climatique (pour protéger les intérêts pétroliers), invoquer la liberté (pour protéger les fabricants d’armes,  l’industries alimentaire, les riches qui ne paient pas d’impôts) l’égalité (pour supprimer  les dépenses publiques destinées à aider les pauvres),  Dieu-encore-lui (limiter l’avortement).
On ne dit jamais de quelqu’un qu’il est gros, noir, obèse, gay ou autre qualificatif, car ce n'est pas politiquement correcte, selon l'expression consacrée, on ne mentionne pas ton âge, ta nationalité, parce que c’est mal élevé et qu’on est tous égaux mais les faits disent le contraire.
 Sur le site d'un comité de quartier : 
 Sorry to bother you all, but I was just unloading groceries from my car (in the 100 block of 7th Street by the alley opening) and I noticed an African American male cross over from the Verizon building and walk into the alley. I’ve never seen him before and since it is a dead-end alley, I was a little suspicious. I went up to our deck to see what he was up to and he seemed to have disappeared. I didn’t see him in any of the backyards and wasn’t brave enough to walk down the alley myself and start poking into the garages. I continued to unload my car and saw him emerge moments later riding a nice, silver bicycle. I reported it to the police, so if you live in the 100 blk of 7th or 8th or the 700 block of A Street and back-up to this alley, check to see if you are missing a bike. If so, hopefully the police will track it down in the next hour and you can claim it. I’m sure this list isn’t comprehensive, so if you can share with any neighbors that live on this square that aren’t on this list, that would be great. Thanks!

Washington DC, le village gaulois




Certains mauvais esprits français ont pu comparer Washington à Limoges, se référant à sa folle ambiance.  Je ne suis pas d'accord, à la différence du chef- lieu de la Haute Vienne, où furent naguère placardés des officiers punis (d’où le terme « limoger »), Washington est une ville très internationale. Toute la planète est là  ainsi que beaucoup de Français, souvent mariés à d'autres nationalités. L’époux français est apprécié des époux/ses du FMI.  Qu’elles soient Paraguayennes, Turques, Chinoises, Américianes, elles ne jurent que par notre romantisme. La Française, n’en suis-je pas la preuve  éclatante,  est en tout cas un produit exportable pour accompagner les maris Irlandais.

Je ne me sens pas isolée dans ma Francitude. Je recours au réseau en ligne “Mamans autour de DC” si j’ai besoin d’acheter des mirabelles, de me renseigner sur la compatibilité France-US de mes guirlandes de Noêl électriques, ou de vendre  un ouvre-boîte, une collection d’« Okapi », un étendoir Ikea,  pour trouver un psy ou un orthodontiste, pour me faire des amis. Et encore pour commenter, aimer ou déplorer. Quelquefois des disputes en ligne  entre deux « mamans » sur le prix de l’ouvre-boîte profitent à tout le réseau des 1200 membres. Cela occupe.
C’est par le site que j’ai rejoint mon club d’écriture, et rencontré trois anges gardiens qui m’ont encouragé à développer ce blog.
L’Alliance Française  est située à côté de chez moi, ce qui me permet de suivre les amours de Gad Elmaleh et Charlotte de Monaco dans Paris Match,  de découper en douce les fiches-cuisine de Elle, et de me sentir chez moi dans cet îlot  chaleureux fréquenté aussi par des américains épris de la France. C’est là que j’ai rencontré Dawn, ma prof d’américain francophile. Je ne pouvais imaginer qu’elle avait vécu cinq ans à côté de chez moi à la Goutte d’Or à Paris. Elle m’a fait découvrir les us et coutumes américains, tout en s’attaquant courageusement à mon irréductible accent français. Grâce à elle, après tant d’années de douleur et d’incompréhension, enfin, j’aspire les H et on sait de quoi il s’agit quand je dis mouth (bouche) ou mouse (souris) ou sheet (drap) plutôt que shit (merde). Elle m’a appris à ouvrir la bouche, comme il faut, car nous les français on s’exprime avec la bouche en cul de poule, on marmonne, on susurre, on ne se remue pas la glotte, en fait.
Elle m’a montré des sites Internet comme celui de David Sconda, où sont dessinées des planches anatomiques pour othorino.  Bouche, gorge, dents, langue, tout le dispositif qui mobilise les cordes vocales est détaillé. David, yeux écarquillés face à la caméra, se livre à une gymnastique facio-maxillo-linguale impressionnante. On a l’impression que même ses amygdales sont mobilisées.
Autre quartier du village, la Chambre de Commerce Franco-Américaine, qui invite les Français à des goûters-crêpes ou des dégustations de vins et fromages, a organisé une soirée dansante caritative sponsorisée par les boîtes françaises. Au programme : Claude François, Alexandra et Alexandrie, tombola.  Dans la liste du Village gaulois figurent aussi Washington Accueil, pour les nouveaux arrivés, le Lycée Français Rochambeau, l’amicale des Chti’s de Washington, les paroisses catholiques et protestantes francophones, et j’en passe.
En fait c'est avec les nombreux Africains rencontrés partout que je parle le plus ma langue. Dans les rayons et à la caisse du supermarché je suis contente de discuter de notre expérience de l'Amérique avec des Togolais, Camerounais, Béninois qui sont là car ils ont gagné la loterie de la green card ou parce qu'ils sont réfugiés politiques. On se raconte nos histoires,  d’où on vient et pourquoi on est là, le serveur de la cafétéria du musée  était médecin au Congo, le chauffeur Camerounais du bus de l’aéroport travaillait comme ingénieur agronome. Ils ont souvent plusieurs boulots, ils disent que les temps sont plus durs maintenant aux Etats Unis même si c’est plus facile d’y émigrer car la France leur est fermée.


Manger, vite, dit-elle encore




J’ai tout pour être heureuse. Ma cuisine est revêtue de marbre blanc,  mon évier est équipé d’un broyeur, ma cuisinière à gaz a 6 feux.  Mon frigo, qui pourrait contenir une vache, est en alu étincellant. Je peux m’y mirer quand je danse en passant l’aspirateur. J’adore mon aspi orange années 50 et sans fil. Le meuble cave-à vin est rempli de Sonoma,  Nappa Valley et de Pinot Noir de Francis Ford Coppola, le même qui a fait Apocalypse Now et le Parrain. Mes amis m’assurent que ma cuisine incarne le rêve de tout couple américain et pourrait figurer dans un magazine de déco, tout en restant impraticable. Au moins deux heures de nettoyage aux produits toxiques après chaque repas,  la fonte des brûleurs pèse une tonne et, en plus, le marbre blanc ça marque les tâches.
Ma cuisine est neuve. Je pense qu'avant moi elle n'avait été traitée que comme une pièce décorative.  A quoi bon se décarcasser, faire les courses, cuisiner, nettoyer, alors que je peux acheter du tout-fait partout ?  Alors que je pourrais consacrer mon temps précieux à la course à pied-queue-de-cheval suivie d’un bon coup de vernis à ongle?

Dois-je balancer au Potomac mes scrupules de Française- nourrisseuse-de-famille, lâcher mes casserole et enfiler mes baskets pour suivre l’exemple des habitants de mon quartier ? N’est-ce pas cela s’intégrer dans une nouvelles culture ?

On mange beaucoup au restaurant à Dupont Circle. On peut aussi le faire parce qu’on est libres, qu’on n’a pas d’enfants et parce que ce n’est pas plus cher qu’à la maison.
Mais, après avoir mené enquête, je m’aperçois qu’ils ne sont pas si bon marché que ça les restos.
A priori on pense que c’est correct un plat affiché 25 dollars. Mais, c’est comme les billets de Ryanair, il y a des suppléments. Une fois ajoutés les taxes et le pourboire, on s’en sort à 35 dollars le steak (gros) frites (beaucoup). Pour le vin au verre, on doit choisir entre Cabernet, Pinot noir, Chardonnay affichés dans la « wine list » entre 9 et 12 dollars pour un gros ballon de rouge assez acide.
Passons au rituel.
J’arrive au resto. Si c’est le week end il y a la queue. Il faut être patient, j’apprends. Les premiers dineurs sont arrivés à 5h30 du soir, souvent pour bénéficier du tarif Happy Hour.  Quand arrive mon tour, pas question de choisir ma table. L’hôtesse d’accueil me désigne ma place et me remet les deux menus, boissons et plats. A peine assise, le buzzboy vêtu de noir, en général il vient d’Amérique Centrale, me sert un grand verre d’eau plein de cubes de glace. L’eau et les glaçons sont gratuits, pas comme en Belgique. Ensuite un serveur/se vient prendre la commande de boisson alcoolisée parce qu’il faut absorber le plus vite possible de l'alcool cher.
Ensuite je consulte le menu.  La diversité des plats proposés est communément la suivante :
-salade César (salade coupé industrielle, croutons industriels, parmesan, sauce blanche industrielle) ou salade au poulet-aux-hormones très charnu;
- hamburger-frites ou steak frites avec rondelle de tomate sur le côté;
- crabe-cake sandwich-frites (ce que je choisis toujours) avec rondelle de tomate sur le côté;
- tarte aux pommes-glace vanille
Le week end les restaurants servent un menu brunch toute la journée : œufs, bacon, frites, pancakes épais comme des éponges qui absorbent des torrents de sirop d’érable, containers de café, mimosa qui est du (faux) champagne additionné de jus d’orange servi en quantité illimitée. Un cauchemar diététique à vous trouer l’estomac déjà fragilisé par le happy hours du samedi soir.

Les plats sont servis très rapidement. Je mange à toute allure et sans parler car j’ai faim et de toute façon mon compagnon ne m’entendrait pas si je lui adressais la parole sur un mode normal. Le serveur  m’interrompt deux fois au moins  pour me demander si  je suis contente.  Oui merci je  réponds que je suis contente.
Alors que je mâche ma dernière bouchée, il surgit à nouveau et place l’addition ouverte, insérée dans un porte-carte, verticale entre nos deux assiettes, l’addition qui vous la coupe. Son geste s’accompagne d’un « take your time » qui veut dire « tire toi le plus rapidement possible car j’ai besoin de ta table et de mes pourboires pour vivre ».  Les serveurs sont payés 2,50 dollars de l’heure. A ce tarif les restaurants peuvent employer beaucoup de personnel ce qui permet d'accélérer le rythme du service. Le pourboire est incontournable. Même si le serveur fait semblant de  chercher à le mériter, sa mission principale est de te faire manger et boire le plus vite possible. J’ai connu des cas où des clients se sont fait poursuivre sur le trottoir et menacés d’appeler la police faute d’avoir payé un pourboire  suffisant car  ils s’estimaient mal servis.
Je règle l’addition en remettant ma carte de crédit au serveur qui l’emporte et la rapporte pour que je signe une fiche à laquelle j’ajoute un pourboire, d’un montant de 15 à 20%. 
En conclusion, les termes pourboire et service ne veulent rien dire, le client  paye sans récriminer, content ou pas, le reste n’est que mise en scène. Si j’ai bu une bouteille à 50 dollars, un prix moyen pour un vin correct et deux repas à 50 dollars, cela fait $150+$15taxes+$25 tip=190 dollars. Pas donné. Le dîner a été plié en une heure.

Au suivant !

Trop polis pour être honnêtes ?


Trop polis pour être honnêtes ?


En toutes circonstances, même celles qui feraient exploser le premier moine Bouddhiste, l’Américain reste imperturbable.
J’arrive de Paris à l’aéroport de Washington Dulles. Plusieurs avions ont atterri au même moment et les passagers se déversent par centaines, bientôt bloqués au comptoir de la douane où officie UN agent. La queue est immense et calme. Pas la moindre voix ne s’élève dans le brouhaha normal.  Enfin, si, la mienne qui pousse des exclamations scandalisées : « non c’est pas pooossible ! », mes yeux cherchant en vain un regard complice dans la foule. Mais ils ne rencontrent que des pupilles américaines indifférentes. Est-ce la fatigue du jet lag ? Non ce n'est pas cela, les Américains savent attendrE. C’est vrai  aussi que si on se manifestait un peu trop, un professionnel de la sécurité aurait vite fait de nous rappeler qu’ici on ne la ramène pas. Le pays ne manque pas de personnel spécialisé dans  le maintien de l’ordre. Tout nouvel arrivant sur le sol américain subit le  test du stress orchestré par un douanier bien entraîné à te considérer d’emblée comme un terroriste potentiel. Surtout si tu es un jeune Marseillais qui vient visiter sa tante, un fromage non pasteurisé emballé dans la valise.
Mais revenons à la culture de la file d’attente. Partout ici, en toutes occasions, les files s’allongent sur les trottoirs.
A l’arrêt de bus, le second candidat-voyageur se place derrière le premier et ainsi de suite jusqu’à former de longues files indiennes bien rectilignes. JAMAIS personne n’aurait l’idée de casser la file, ce serait un sacrilège. J'en tremble juste à imaginer les réactions que cela produirait.
La patience d’ange de la population américaine proviendrait, paraît-il, de sa culture religieuse : chacun a ce qu’il mérite car Dieu en a décidé ainsi. Si tu n’es pas content de ton sort, il ne faut t’en prendre qu’à toi même. Donc ne râle pas.  Inimaginable pour mes compatriotes.

On est si poli que les professeurs ne donnent pas de mauvaises appréciations à l’école. Mais les expressions utilisées  dans les carnets de notes sont décodables par les initiés du métier pour repérer la réelle valeur de l’élève. Un language positif codé en somme.
A mon cours de peinture, Lisa la prof circule entre nos chevalets tandis que nous nous appliquons sur nos toiles. Elle se campe devant nos œuvres et des cris d’admiration, à mon avis imméritée, jaillissent de son gosier,  des gémissements quasi orgasmiques. On est tous « awesome » et notre œuvre « is absolutely amazing ». C'est sûr que cela produit un effet encourageant, mais que vaut ma peinture finalement ? Je ne suis pas habituée à cela, habituée que j'ai été aux carnets de notes "peut mieux faire".
Partout on m’accueille par un: « how do you do ? », la caissière,  le chauffeur, la réceptionniste.  Je réponds toujours que je vais bien, mais est-ce que ma santé les préoccupe vraiment ?
Si quelqu’un m’effleure au supermarché, j’ai droit à un immédiat  et confus « oh I am so sorry ». C’est vrai que le harcèlement sexuel est  pris très au sérieux et je pourrais me plaindre auprès de la maréchaussée de tout attouchement indésiré. Le so sorry est en tout cas un moyen bien pratique de se défausser.
Cette politesse me laisse perplexe. Au restaurant, pendant que je mange, je dois rassurer le serveur quand il me demande à trois reprises si je suis contente mais il me balance l'addition avant que j'ai fini de manger.
J’appelle la compagnie de télédistribution parce que je ne reçois plus Internet. Quand je  me connecte enfin, après avoir pianoté quinze minutes sur le clavier du téléphone, l’opérateur m’accueille aimablement, « hi I Am Dirk, Can I help You ? ». Puis il enchaîne par la lecture à toute allure de son manuel technique, sans m’écouter exposer mon problème. A la fin il raccroche, non sans m’avoir félicité « aimablement "pour « ma patience ", m’abandonnant dans un état apoplectique… Stratégie commerciale qui porte ses fruits puisqu'il il ne me reste plus qu’à étudier moi-même le fameux manuel technique. L’opératrice de la Banque me fait le même coup. Après le rituel du pianotage optionnel, après que je lui ai exposé mon problème, que j’ai répondu à toutes ses questions, fourni  toutes mes données, elle finit par me dire que je ne suis pas au bon service, que cela a été très agréable de me parler, qu’elle me remercie beaucoup etc. Faisant semblant de ne pas remarquer ma frustration, elle pourra, à la rigueur, m’asséner quelques So sorry…

Ici la râlerie n’existe simplement pas. Il est conseillé d’avaler, de respirer un grand coup, d’aller faire le tour du pâté de maison en courant, de prendre une douche etc, quand un « sentiment négatif » nous traverse.

Cela explique-t-il que, de temps en temps,  il y en a qui  sortent de chez eux et tirent sur tout le monde dans un supermarché ? 

La légitime défense, ça va loin ici.