Friday, December 20, 2013

Quand le jazz est là...

L'année se termine, ma deuxième année à Washington. Je pense à Alain Mabanckou. Je trouve formidable qu'une université américaine lui ait demandé d'enseigner la littérature francophone, à lui un Français d'origine congolaise. Il déclare que toutes les villes sont belles et qu'avec chacune il a une relation particulière: Brazzaville où il est né, Paris, la ville de ses rêves, Bruxelles ensuite et Los Angeles où il vit maintenant. Je constate qu'Alain et moi on a trois villes sur quatre en commun. Il cite aussi Dany Laferrière qui considère que l'écrivain devrait vivre dans une ville qu'il n'aime pas. Parce que cela aide à créer de ne pas se sentir bien où on vit? " Pour moi une ville c'est le mélange entre la physique de la ville et la chimie des gens qui y vivent. Si le cocktail fonctionne, on y plonge.

L'identité française est-elle fongible dans le  Grand Bain Américain? Impossible my dear, car on me rappelle sans cesse d'où je viens. Je ne m'étais jamais posé la question de ma francitude avant de venir ici où on ne se contente pas de la simple réponse "I am Frrrench". Verre en main, l'interlocuteur reattaque sans respirer: "where in France?".  Je réponds tranquillement Paris, c'est plus simple, de toute façon l'effet est garanti, les yeux de l'autre se mettent in petto à briller, comme si j'avais appuyé sur un interrupteur.  Pour moi c'est trop compliqué d'expliquer que je suis née en Afrique, que j'ai vécu en Normandie, à Nice, à Bruxelles, Paris-9ème-et-Barbès le quartier des Sapeurs, les amateurs de Sapes élégantes dont parle si bien Mabanckou.

Si quelqu'un me demande si j'aime Washington je réponds que je n'ai jamais eu autant l'impression de vivre au milieu de stéréotypes, blancs riches et minces, noirs pauvres et gros, qui ne se mélangent pas. Sauf au club de Jazz et chez BuzzBoys and Poets, une chaîne de restau-bar-librairie-concerts-galerie à la déco colorée, tables basses, sofas profonds, un lieu qu'adoreraient nos bobos.
Ce qui est bien à Washington, c'est que, en plus des Américains dont j'ai parlé dans ce blog, il y a aussi plein d'autres pas Américains et on baigne tous ensemble dans notre diversité dans la culture américaine. On vient de partout mais on se ressemble (évidemment pas moi, d'abord je n'ai pas les cheveux longs) et on fait tous les même choses: positiver (enfin faire semblant de) et être polis, s'excuser pour tout, faire des happy hours et du networking, déjeuner d'une soupe pho, d'un poulet tandoori ou d'un falafel achetés à  un Food truck,


c'est beau l'Automne mais fatiguant à ramasser
ces camionettes aux couleurs flashy qui stationnent près des bureaux, prendre un coach de vie, rencontrer des amis pour le brunch le week end et boire du mimosa, Prosecco et jus d'orange (détonnant pour un estomac fatigué par un samedi soir chargé) ou Bloody Mary à réveiller une momie, écouter Rachel Maddow qui passe toutes ses soirées sur la chaîne MSNBC à se moquer des Républicains, se faire peindre les ongles, balayer des tonnes de feuilles devant sa porte au Fall,  courir sous la neige avec un bonnet de père Noël, et surtout raconter sa vie personnelle à des inconnus qui te trouvent amazing. Je passe beaucoup de temps à écouter les parcours des réfugiés politiques que je rencontre au volant des taxis, en train de ranger les fruits et légumes dans les rayons du supermarché, dans le vestiaire du club de gym du DCJCC.  Surtout des Africains venus du Soudan, Cameroun, Congo, Togo, Ethiopiens qui sont 200 000 parait-il ici. Des jumelles éthiopiennes sont les propriétaires d'un super club de jazz, le "Twins" où j'enmène tous mes visiteurs. Les deux dames sont photographiées très jeunes dans les années 70 à l'entrée du club. Tous les soirs de l'annnée elles sont juchées sur des tabourets du bar et regardent des matchs de base ball muets pendant les concerts. Elles font partie de la mythologie de U Street, le quartier des émeutes raciales et des manifestations pour les droits civiques. Aujourd'hui c'est Le lieu où sortir, les bars et restaus y poussent à chaque seconde et la foule s'y presse les week end, filles brushées en micro jupes oscillant sur talons vertigineux et gars en jeans tombant sur les hanches et chemises à carreaux de bûcheron.

En fait le Jazz ici, c'est pas rien





Thanksgiving à Montpelier, Virginie, et le noeud de Christine

Je vois son dos, il porte une veste de toile goudronnée kaki, il est assis sur un tabouret et il est penché sur les entrailles d'un gros tracteur rouge auquel est amarré une remorque.
Nous lui lançons un hi, hello, helloooo, sans obtenir de réaction. Mais quand on s'approche il tourne  enfin vers nous sa tête chapeautée de la même toile goudronnée. Son visage est aussi  rouge que le tracteur et ses  lunettes lui occupent la moitié du visage. Il nous accorde un regard bref et inexpressif et revient à son moteur dont il éclaire les profondeurs à l'aide d'un i.phone. C'est notre hôte dont la femme, une américaine avec qui je travaille, nous a invités à célébrer Thanksgiving. Tu verras, m'a-t-elle promis, un vrai Thanksgiving traditionnel, mon mari et moi on fait  chaque année une compétition de dinde, lui c'est façon coq au vin, moi je la fais rôtir.


La maison est à environ une heure et demie de Washington, sur la route du Parc National de Shenandoah. Le paysage, les maisons, les collines ont un air familier parce qu'ils me rappellent les peintures d'Edouard Hopper. Tout autour ce ne sont que des champs roussis par le gel, une forêt, sans doute habitée par des ours, quelques maisons  isolées, du matériel agricole, des camionettes et des hangars, le tout éclairé par un soleil bas d'hiver.
En contre bas de la maison s'aligne une rangée d'étables en bois décorées par un bric à brac sympathique dominé par les équipements des chevaux. Justement ils sont là, ils nous regardent très posément, trois têtes au-dessus de la barrière s'avancent vers nos caresses.
Le jeune est arrivé à fond de train dès qu'il nous a aperçus de l'autre côté de la prairie. Les autres ont pris leur temps mais ils ont suivi. La jument plus âgée nous observe de loin, digne et tranquille sous sa couverture qui lui fait comme une grande cape bleue très chic. Restés dans les écuries, les chevaux de course se tordent le cou pour nous saluer.
La maison jaune aux volets bleus domine la campagne, tout l'intérieur rappelle les chevaux, pas un tableau, pas une photo, pas un objet décoratif qui ne représente un cheval.
Mais ce jour là est dédié à la dinde et tout ce qui va avec, patates douces, purée de pommes de terre, haricots verts, compote de fruits rouges, crême aigre, tourtes au potiron et aux noix de Pécan. Tout est délicieux.
J'ai failli apporter une tarte Tatin mais elle n'a jamais voulu décoller du moule, un échec cuisant. J'ai du me rabattre sur le cheesecake au potiron du pâtissier Firehook au coin de Dupont. Je n'ai pas pu la jouer  la Française qui sait cuisiner. N'ai je donc tant vécu que pour cette infamie?

A la fin du repas, le maître de maison qui trône au bout de la table d'où il peut aisément atteindre le placard aux alcools, en extrait toutes sortes de bocaux qu'il nous propose généreusement.  Il devient loquace pour nous expliquer que la gnôle est faite maison. Oui, la nuit venue, en Virginie, tout le monde  fabrique son tord-boyau à base de fruits fermentés,  le Moonshine parce que fabriqué au clair de lune. C'est joli comme nom dis-je, moi qui ne l'ai pas encore goûté. Joli de nom mais qui te tue. Tu trempes tes lèvres avec précaution dans le verre et, immédiatement, tu te demandes avec inquiétude si tu vas survivre. La boule de feu dévale ta gorge, brûlant au passage tes poumons et te coupant la respiration, puis elle explose dans ton estomac qui se demande ce qui lui arrive, le pauvre, tandis que, les yeux larmoyants tu reposes ton verre à tâtons sur la table. Pas que des fruits fermentés dans le Moonshine.

Après diner nous avons chanté, des chansons typiques de chez nous, les uns et les autres, l'hôtesse chantait bien et s'accompagnait à la guitare, son neveu chéri acteur de cinéma était venu exprès de Los Angeles et nous a interprété une scène de la série Gray's Anatomy où il tient un rôle de jeune malade atteint de multiples tumeurs. Il est très excité par ce premier rôle de cancéreux, dont le traitement soulève les questions des médecins réunis à son chevet.  L'épisode cependant se termine sur une note optimiste car la docteur déclare à son confrère dans le couloir de l'hôpital qu'elle pense pouvoir le sauver. Ce qui veut dire pour lui tourner un autre épisode, un plus grand rôle, le commencement de la célébrité, qui sait?  Ensuite les autres invités ont lu des poèmes que malheureusement je n'ai pas compris et une petite fille a chanté, concentrée et les yeux fixés sur le plafond, d'une mignonne petite voix.

Depuis, les fêtes n'ont pas cessé. Vais-je finir comme Abraracourcix le chef du village gaulois après son Tour Gastronomique,  portée sur un brancard jusqu'à Lutèce ? Comment durer jusqu'à Noël alors que chaque jour, chaque organisation, institution, groupe d'ami y va de son drink, de son diner?
A la maison on s'y est mis aussi et on a même réussi à faire danser des Américains et des autres du melting pot sur Alexandra, Alexandrie, les Rita Mitsouko et le délicieux Stromae.

Le plus grandiose happening de Noël c'est quand même la fête du Fonds Monétaire, oh my god, c'était encore mieux que le bal d'inauguration d'Obama. Tout le gigantesque bâtiment éclairé en boîte de nuit, avec des kaleidoscopes de lumières colorées donnant une ambiance feutrée, les salles de réunions transformées en salles de danse avec parquets, des bars croulants sous les alcools, mais pas de champagne quel scandale, des buffets débordants de nourritures riches, des kilomètres de sushis, une fontaine de chocolat où tremper sa fraise au bout d'un pique, des montagnes de choux à la crème chantilly et de petits fours dégoulinants, un karaoké, l'orchestre rock des sexagénaires du FMI très en forme, et enfin, un super groupe de punk, pop, disco conduit par deux ravissantes jeunes black qui chantaient et bougeaient comme des déesses et ont déchainé ces messieurs en costards et ces dames vétues de leurs plus beaux atours. Pourtant certains me rapportent que ces fêtes ont beaucoup baissé, avant on avait caviar et Cirque du Soleil…oui mais nous on a eu Christine.

Car le clou, je veux dire le noeud de la soirée c'était quand même sa nouvelle coiffure. On ne parle que de ça à Washington en cette fin d'année

Joyeux Noël à tous

les princesses du FMI