Friday, June 13, 2014

Back to la vieille Europe...et plus loin

La sortie du métro Schumann est devenue un baraquement de chantier  où je gravis un interminable escalier de béton qui mène à l’air presque libre. Haletante j’émerge dans un nuage de poussière en haut de la rue de la Loi.  En face de moi c’est la Joyeuse Entrée, l’adresse de mon futur bureau, et plus loin le monument du Cinquantenaire.
A la réception siège une armée d’officiers de sécurité belges en costumes noirs et cravates rouges que j’interromps dans leurs conversations, siestes, écoute de la radio, facebook, résultats du foot.  Je fais  face au regard vide d’une officière, sans doute une stagiaire, à qui un collègue explique avec une infinie patience les formalités nécessaires pour me faire entrer. Personne ne me regarde. J’ai l’impression d’être transparente. Vous voulez voir qui? Ça s’écrit comment? Pouvez vous répéter? C’est quoi votre nom ?
Le portail de sécurité sonne, “c’est vos chaussures”, je pénètre dans le bureau de sécurité pour mon badge, oh this is so exciting, je redeviens bientôt quelqu’un. Six cravatés rouges enfermés dans ce bocal tournent vers moi un regard épuisé,  un gros sursaute, affalé la tête sur la table. L’un d’eux se dévoue pour expliquer à un nouveau comment procéder. Enfin ma photo est prise,  j’ai mon badge, j’existe !
Retour  à l'Union Européenne !
Manif devant le bureau
Course à la banque pour récupérer une carte de crédit mais les  bureaux  sont fermés pour cause d’heure de table. Il n’y a  que deux personnes pour servir à Base, le AT&T belge, plus d’une heure d’attente. Le vent glacé s’engouffre dans la rue de la Loi, les marteaux piquent mes tympans, des blancs conduisent les bus,  des blancs font la manche,  j’entend des langues bizarres, l’accent belge, c’est bon, glauque, bienvenue à Bruxelles,
Au restau, à la commande de pâtes “aux légumes grillés et tomates séchées”,  le serveur a apporté des pâtes aux tomates et olives. En haussant les épaules, il déclare « qu’il n’y avait plus de légumes grillés ». Et le thé à la menthe sans thé c’est normal hein. En Europe les serveurs sont désinvoltes, ils s’en fichent, personne ne leur donne de pourboire car c’est prix net et on ne va pas faire de chichis en plus.
Ici on ne pose pas de questions aux professionnels, ils « savent », ils « ont fait un bon prix », « je suis  intègre moi madame » et IL FAUT ME FAIRE CONFIANCE.
Quand je demande une facture, des détails, on me lance un regard à la fois vexé et méprisant pour ma mesquinerie.  Vous êtes française madame, c’est ça ?
Les agents immobiliers sont jeunes, élégants, prétentieux et en retard aux visites car  leurs voitures de luxe sont coincées dans les embouteillages. Ils mentent tout le temps, l’appart est toujours orienté au sud et il faut se décider vite car des dizaines de personnes le veulent aux conditions annoncées. L’offre immobilière est immense, l’éventail des prix et des prestations est large mais  pas de salle de gym ni de roof top avec barbecue pour rencontrer les voisins.
Presque une semaine de drache, la pluie belge, deux parapluies perdus, un explosé à la première bourrasque. J’ai retrouvé les fleuristes, les pivoines et les amaryllis à tous les coins de rues où je rencontre des amis que j’avais oubliés. C’est agréable d’être reconnue.
Les Patricia m’accueillent dans la vieille Europe. Elles portent toutes mon nom, la sèche Espagnole chef des ressources humaines, la gentille anglaise dont je partage le bureau,  Patricia Martin, la rousse artiste belge qui était venue faire une performance à Washington, rencontrée dans la rue, l’amie péruvienne qui me propose une chambre dans sa belle maison au jardin plein de roses. 

Je retourne à Bruxelles où l’Afrique m’attend.

Avant de quitter Washington j’avais assisté à un concert d’Angélique Kidjo qui est béninoise.



taxi moto à Cotonou

Elle est magnifique, il faut écouter son interprétation de Summertime qui donne des frissons. Mon premier voyage de travail je le fais à Cotonou. Ma mère ma raconté ses souvenirs de Porto Novo, ville du Bénin où elle est arrivée en 1942, la lagune et les villages lacustres où Papi partait vacciner en pirogue, les armées de moustiques qu’on balayait après la pulvérisation de flytox, les soirées sur le pont à regarder le soleil couchant en compagnie des autres blancs, les cahiers d’écoliers en papier kraft dans ces temps de pénurie de guerre.


Sa fille, moi, je regarde les cérémonies de commémoration du débarquement en Normandie  retransmises sur toutes les télés de l’hôtel. Je suis à Cotonou ce 6 juin 2014 et je dévore les mangues du petit déjeuner.

Un groupe de 18 sexta belges en surcharge pondérale  galopent sur le quai, il est 1H24, le Thalys part dans une minute. Tandis qu’ils bataillent avec leurs énormes valises, écrasés dans l’aquarium du sas d’entrée, deux jeunes Ethiopiens cherchent leurs places, j’avise le contrôleur qui leur lance “mais c’est marqué sur ton billet hein !”.129 euros l’aller  simple Paris-Bruxelles, “sans garantie de siège”. Thalys prospère…

Vendredi soir je suis arrivée à Paris (j’avais racheté un billet sur un site). Je trainais ma valise  sur le boulevard quand il m’a assuré “je ne vous demande pas d’argent, j’ai faim madame, achetez moi un poulet s’il vous plait”. Il me souriait de toute sa dentition ravagée dans un visage de la couleur de sa boisson préférée. Derrière lui les poulets embrochés  tournaient de façon provocante.
Welcome back à mon autre home, Barbès m’accueille.  Côté cour le Sacré Chœur trône dramatiquement, comme un décor de théatre il se détache  dans le ciel d’azur. Sur une terrasse en dessous, torse nu, une Africaine étend son linge, un pagne autour des reins. Cela m’a fait penser aux photos des dos  des pagayeurs ivoiriens  sur le fleuve, hier à l’expo Henri Cartier Bresson.

 
ah Paris !
La plage privée de Blue Beach à Nice. Je suis allongée sur un confortable matelas face à la méditerranée, et je lis « six mois dans une cabane en Sibérie » pendant qu’un groupe de Chinois me photographie (ainsi que les parasols, les galets, les vagues, les bateaux, les voitures, les vélos, les assiettes de salade niçoise).  Deux Russes rouges et  gros comme leur nouveau compatriote, Gégé, sont avachis sur des chaises en plastique, leurs lunettes  aux verres miroirs  sont remontées sur leur crâne lisse comme un œuf et ils consultent inlassablement l’écran des smart phones  qui semblent collés à leur paume.

A Bruxelles un show en 42 tableaux tentait d’approcher la définition du bonheur. La Vénus de Botticelli était tombée de sa peinture,  laissant sa coquille vide. Elle était étalée sur la scène, blanche et nue, longue chevelure  blonde répandue, tandis que deux danseuses cul de jatte en tutu bleu traversaient la scène en diagonale à la force de leurs bras et qu’un violoniste interprétait  la Chaconne de Bach. Les spectateurs étaient appelés à se poser des questions telles que : la beauté est-elle démocratique ? La beauté permet-elle de supporter l’insupportable ? La beauté a-t-elle un sens ? Tout peut-il être accompli en beauté ? Quel est l’acte esthétique ultime ?

 L’Eurovision est-ce que c’est beau ?