Le barbu s’esclaffe sur le banc, si fort qu’on l’entend de l’autre côté de Dupont Circle. Il est gros et il est noir. Sont disposés à côté de lui des portraits peints maladroitement à l’aquarelle d’hommes et de femmes, blancs.
Plus loin un autre noir en survêt gris informe, planté au milieu du trottoir, braille inlassablement, sur un mode-genre-gospel qui nous martyrise les oreilles : "Yes I changed","O my LOOOOORRRRDDD".
Devant la pharmacie- tabac CVS de Dupont, un monsieur tient un écriteau sur lequel est collé un paquet de cigarettes, "ICI à CVS, on vend du poison".
Plus loin un autre noir en survêt gris informe, planté au milieu du trottoir, braille inlassablement, sur un mode-genre-gospel qui nous martyrise les oreilles : "Yes I changed","O my LOOOOORRRRDDD".
Devant la pharmacie- tabac CVS de Dupont, un monsieur tient un écriteau sur lequel est collé un paquet de cigarettes, "ICI à CVS, on vend du poison".
Il est 8 heures du matin, on est en septembre, le soleil chauffe déjà. La procession des morts-vivants a démarré sa descente vers les institutions financières internationales pour s’occuper de la pauvreté dans le monde. C’est vendredi, c’est casual day, tous en jean pour aller au bureau.
A la terrasse de l’hôtel Dupont les hommes d’affaires sont aux œufs frits-bacon-jus d’orange et leurs épouses consultent déjà le programme de leur week-end touristique à Washington.
En attendant le bus je regarde dans la vitrine de Dunkin and Donuts le défilé des beignets sur un tapis roulant. Les anneaux frits reçoivent au passage une douche de sirop blanc qui les rend translucides puis une giboulée de granulés jaune, vert, rose, ou bien un glaçage de chocolat noir. Ensuite un jeune homme noir en blanc les décore d'unn filet « spider web » de sucre rose et les range dans des boîtes en carton.
En attendant le bus je regarde dans la vitrine de Dunkin and Donuts le défilé des beignets sur un tapis roulant. Les anneaux frits reçoivent au passage une douche de sirop blanc qui les rend translucides puis une giboulée de granulés jaune, vert, rose, ou bien un glaçage de chocolat noir. Ensuite un jeune homme noir en blanc les décore d'unn filet « spider web » de sucre rose et les range dans des boîtes en carton.
L'autre jour, je patientais à l'autre arrêt de bus, celui qui se trouve à la sortie du métro Dupont. La bouche du métro est comme un entonnoir en béton qui mène aux entrailles de la terre, un gouffre vers lequel s'enfoncent des escaliers immenses et, justement, ils sont en panne. Depuis des mois, j'observe le matin les trois ouvriers en salopette bleue qui réparent à la vitesse d'une couleuvre le Grand Escalator de Dupont. Vous avez compris, le matin j'ai le choix, soit ce sont les beignets, soit ce sont eux. Alors là, un gros policier noir me demande pourquoi je les regarde comme ça. Je lui explique que j'aime les travaux pharaoniques sans fin qui me rappellent la Belgique, les travaux à la gare Schumann par exemple, aux pieds de mon bureau. J'ai aussi l'impression d'être devant la Grande Pyramide inversée. Il ne comprend pas mon exposé mais constate, allez-savoir
Quand je monte dans le bus, je salue le gros chauffeur noir qui me reconnaît, il nous bénit, les passagers, à chaque descente, d’un «God bless you, have a nice day ». Les passagers lèvent furtivement le nez de leur téléphone, je reconnais certains à leurs livres, deux jeunes filles aux longs cheveux blonds lisent « Beyond the war » et «Let the great war spin », une autre est intensément absorbée dans «Success and happiness ». Au prochain arrêt monte un homme chauve en short et baskets qui se met à déclamer la Bible, je repère qu'il est question d'un certain Jacob, de toute façon ça casse l'ambiance. On se replient tous de plus belle dans nos smartphone.
Souvent un jeune se lève et me propose son siège ce qui me blesse atrocement, alors je prends un air dégagé et refuse systématiquement l'offre, même si j'ai envie de m'asseoir, quel affront.
Les copains du Tea Party manifestent pour le retour à la première Constitution américaine |
Ce matin, une dame très âgée s’achemine péniblement vers ces grilles, pancarte sous le bras. Assise à l'arrière du bus je me tords le cou pour essayer de lire ce qui est écrit sur sa pancarte. J'aimerais bien lire le message qu’elle y a écrit, quelle cause a-t-elle tellement à coeur de défendre si tôt le matin toute seule?
A l’arrêt du bus, des hommes et des femmes, des ouvriers du bâtiment apparemment, tournent en rond sur le trottoir en scandant des slogans sous les encouragements d’un porte voix. Tous les jours cette semaine il crient leur colère à leur employeur.
elle a tricoté ses protestations sur le budget de la Défense sur un parapluie |
Sur les marches du Trésor américain, un SDF dort encore, enveloppé dans une couverture en peluche violette. Un autre, handicapé en chaise roulante, a trouvé un domicile fixe dans un porche, on est à deux blocs de la Maison Blanche.
Je descends du bus et pénètre dans "Prêt à manger" pour m'acheter un trop grand et trop chaud café dans un gobelet en carton. Et puis j'hésite devant le pain en chocolat qui affiche clairement la couleur, 400 calories, information qui me plonge dans un abîme d'interrogations existentielles. Je réalise qu'il me faudrait courir au moins deux heures sur un tapis roulant pour liquider ce délice-là. La vie est injuste.
L’empreinte de mon index libre, l'autre enserre le gobelet de café, est scannée. Une lumière verte déclenche l'ouverture d'un portillon, comme dans le métro. Je peux pénètrer dans l’immeuble où je travaille. Je salue le gardien, une femme en tenue de cycliste encore casquée monte avec moi dans l’ascenseur, on se dit buenos dias puis on regarde ailleurs. Je suis arrivée dans mon bureau d'où j’aperçois par la fenêtre les cuisinières latino américaines. Elles ont déjà commencé à préparer le déjeuner de la cantine. Une d'entre elles est en train de couper des tomates en rondelles.
J’enlève mes tongs et enfile des escarpins. J'allume l’ordinateur. Je presse control, alt, delete. L'écran s'allume.
J’irais bien couper des tomates.